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22.11.2024 | Amandine

En Suisse, les personnes qui ont une alimentation omnivore ont tendance à proclamer qu’elles mangent peu de viande (ou moins qu’avant) – et, le cas échéant, qu’elles privilégient les « bons morceaux ». Autrement dit, une viande de qualité biologique, si possible achetée chez le « boucher du coin ».

En 2023, en termes de prix, la viande et les saucisses représentaient 21 % du panier d’achat suisse moyen, arrivant ainsi en première place – tandis que les légumes, pommes de terre et champignons (12 %) devaient se contenter de la quatrième place, et les fruits (10 %) de la cinquième.1 Partant de ce constat, on ne peut prétendre que la population suisse mange « peu de viande ». Mais qu’en est-il du type de viande consommé ? S’agit-il en majorité de « bonne » viande bio ? Et, le cas échéant, pour qui la viande bio représente- t-elle réellement une meilleure option ?

La viande bio en chiffres

En Suisse, la viande de volaille est de loin la plus populaire. En 2023, 60 180 tonnes (bio compris) ont été mises en vente dans le commerce de détail (sans compter les saucisses qui contiennent également de la viande de volaille). En comparaison directe, 27 381 tonnes de viande de boeuf et 25 315 tonnes de viande de porc (bio compris) ont été mises dans les rayons la même année, soit moins de la moitié en termes de volume. Comme chacun sait, l’offre détermine la demande. Par conséquent, une part considérable de la viande mise en vente devrait être de qualité biologique, puisqu’un bon nombre de personnes déclarent y prêter une attention particulière. Or, ce n’est pas le cas : sur les 60 180 tonnes de viande de volaille vendues dans le commerce de détail en 2023, seules 1505 tonnes étaient d’origine biologique, ce qui correspond à une pauvre part de 2,5 %. Certes, la part de viande de volaille bio a presque doublé en dix ans (2014 : 750 tonnes), mais la consommation de viande de volaille a connu une telle envolée sur la même période que la progression de Bio poulet & Co entre 2014 et 2023 ne se chiffre qu’à 1 %. 

Cette tendance se reflète également dans la gamme de produits proposés dans les supermarchés : dans la boutique en ligne de Coop, par exemple, seulement 8 (9,3 %) des 86 produits de volaille proposés sont de qualité bio.2 Chez Migros, sur 202 produits, seuls 15 produits bio (7,4 %) sont disponibles.3 Un facteur qui favorise les produits conventionnels par rapport aux produits bio est le prix plus élevé de ces derniers. En juillet 2024, si l’on comparait tous les groupes de produits dans le domaine de la viande, l’équivalent biologique était toujours entre 41 et 65 % plus cher. Ainsi, même si la viande était effectivement considérée comme un produit de luxe et donc rarement consommée, la viande bio représente encore une étape supplémentaire. Bien sûr, le prix plus élevé est justifié : fourrage de qualité, pas d’administration prophylactique d’antibiotiques, groupes plus petits, plus d’espace et de sorties... mais ces conditions permettent-elles réellement d’offrir une meilleure vie aux animaux ?

Conditions d’élevage en comparaison

En Suisse, les élevages conventionnels peuvent détenir jusqu’à 27 000 poulets selon le jour d’engraissement. La densité d’occupation autorisée pour les groupes de plus de 80 animaux est de 30 kilogrammes de poids vif par m². Pour un poids d’engraissement final d’un peu plus de deux kilo, cela correspond à environ 15 animaux par m². Chaque animal a donc droit à 660 cm², soit un espace à peine plus grand qu’une page A4. Au bout de 35 jours, les poulets élevés de manière conventionnelle ont atteint leur poids d’abattage. Chez Bio Suisse, la durée minimale d’engraissement est de 63 jours. A priori, les poulets élevés en bio vivent donc nettement plus longtemps. Toutefois, si l’on considère que leur espérance de vie à l’état sauvage peut atteindre dix ans, 28 jours de vie supplémentaires ne représentent pas grand-chose. De même, l’effectif maximal de 2000 animaux par unité de poulailler (ou 4000 sur l’ensemble de l’exploitation) autorisé dans le cadre de l’élevage bio n’a rien de comparable aux groupes naturels de 5 à 20 poules et d’un coq. La densité d’élevage autorisée dans les exploitations bio est de 20 kilos de poids vif par mètre carré ou de 25 kilos lorsque l’aire à climat extérieure est comptabilisée. Cela correspond respectivement à 10 et 13 animaux par m². Dans le premier cas, avec une surface de 1000 cm² par animal, les poules bio disposent de 340 cm² supplémentaires, soit environ la moitié d’une feuille A4. Dans le second cas, avec 769 cm² par animal, la surface supplémentaire par rapport à l’élevage conventionnel n’est plus que de 109 cm², ce qui correspond à peu près à la taille d’un smartphone. Les poules bio ont certes droit à des sorties en plein air, mais celles-ci peuvent être refusées en fonction des conditions météorologiques, par exemple en cas de températures trop élevées ou trop basses, de vent ou de pluie. 

Il en va de même pour d’autres espèces animales, comme le cochon : la durée de vie des porcs peut atteindre 21 ans, mais lorsque ces animaux sont engraissés, ils sont abattus au bout de cinq mois seulement. Selon la législation suisse sur la détention des animaux, un porc pesant entre 50 et 110 kilos doit disposer d’une surface de 0,7 m². Bio Suisse accorde aux porcs d’engraissement pesant jusqu’à 110 kilos une surface minimale de stabulation de 1,3 m² par animal. Cette différence de 0,6 mètre carré équivaut à peu près à la taille d’une serviette de bain et, dans les deux cas, la surface mise à disposition est loin d’être conforme aux besoins de l’espèce. Aucune de ces formes d’élevage ne répond, par exemple, au besoin des cochons de séparer leur lieu de déjection de leur lieu de couchage. De plus, le manque d’espace entraîne un risque accru de maladie et de graves troubles du comportement chez les animaux, deux facteurs qui ont un impact négatif avéré sur le bien-être des animaux. Comme les cochons engraissés prennent du poids de manière rapide et extrême, leur appareil locomoteur est sursollicité et il n’est pas rare que des difficultés cardio-vasculaires surviennent. La densité de population élevée et le manque de distractions conduisent à des cas de cannibalisme chez toutes les espèces animales, comme la morsure de la queue chez les cochons ou le picage des plumes chez les poules.

Les animaux détenus dans des exploitations bio sont mieux nourris, car selon les directives de Bio Suisse, les aliments pour animaux ne doivent pas contenir de traces d’organismes génétiquement modifiés ou de produits dérivés d’organismes génétiquement modifiés proportionnellement supérieurs aux limites légales.4 À première vue, cette règle semble plutôt bonne, mais elle bénéficie surtout aux humains. En effet, la présence d’OGM dans leur alimentation n’a aucune importance pour les animaux pendant leur courte vie. De même, le fait d’interdire l’usage prophylactique de médicaments, d’antibiotiques ou d’hormones n’a aucune incidence directe sur le bien-être des animaux ; c’est une mesure prise uniquement au profit de la clientèle.

À l’abattoir, tous les animaux sont égaux

Les directives pour les animaux « de rente » élevés en bio deviennent caduques dès que ceux-ci quittent l’exploitation bio et sont chargés pour être transportés à l’abattoir. À partir de ce moment-là, les conditions qui font la réputation du label bio en matière de bien-être animal, telles que les espaces plus vastes, l’accès à l’extérieur ou la qualité du sol, ne sont plus valables. Lors de transports pouvant durer jusqu’à huit heures dans toutes sortes de conditions météorologiques (chaleur, froid), les animaux n’ont généralement pas accès à de la nourriture ou à de l’eau potable. 

Dans l’élevage bio comme dans le conventionnel, la valeur des animaux s’apparente davantage à celle d’une marchandise qu’à celle d’un être vivant doué de sensibilité, même lors du chargement et du déchargement – l’objectif étant d’entreposer un maximum de « marchandises » en un minimum de temps. Les animaux qui sortent littéralement des rangs, qui refusent d’obtempérer ou qui manifestent des réactions de panique sont rendus dociles par la force, par exemple à coups de poing ou de pied. À l’intérieur des camions, on ne trouve plus que des êtres apeurés et extrêmement stressés, pour qui les « meilleures conditions d’élevage » du passé n’ont plus aucune signification. Il en va de même pour l’abattage lui-même. Après un transport traumatisant, les animaux sont à nouveau conduits dans un environnement inconnu – l’abattoir – où ils sont, dans le meilleur des cas mais pas toujours, étourdis avant leur mise à mort. En juillet 2020, l’ancien boucher Philipp Hörmann a déclaré dans un article du journal allemand ZEIT que les animaux des élevages bio sont plus difficiles à abattre que ceux des élevages conventionnels.5 Il explique : 

« Les animaux élevés en bio sont généralement plus forts, plus musclés. Ils luttent contre l’étourdissement. »

La souffrance des animaux bio à l’abattoir est donc encore plus intense – si tant est qu’elle puisse l’être. Il en résulte un taux élevé d’abattages sans étourdissement, qui se traduisent par une mort atroce. Derrière la grande illusion des animaux bio heureux se cache une mise à mort violente et complètement occultée.

La « bonne viande » du restaurant

Si les plats à base de viande ne sont pas explicitement déclarés comme bio sur la carte du menu, il y a fort à parier que ce ne soit pas de la « bonne viande bio ». Le prix d’un filet de boeuf au restaurant ne permet pas de tirer de conclusions sur les conditions d’élevage ni sur le processus d’abattage de l’animal, et ne constitue donc pas un indicateur de qualité fiable. En effet, le prix d’un plat peut être influencé par de nombreux facteurs, tels que l’emplacement du restaurant, la marque, la notoriété du chef, etc. De même, les prix élevés peuvent être justifiés par l’exclusivité et la présentation des plats, sans que cela n’indique quoi que ce soit sur la dimension éthique de la production de viande. La vérité est que même les morceaux de viande les plus chers proviennent d’animaux élevés et abattus dans des conditions cruelles. 

Mais l’argument du « bon morceau de viande » au restaurant a des conséquences encore plus subtiles : le fait que la viande et la charcuterie soient majoritairement consommées à l’extérieur renforce l’impression d’une demande accrue, ce qui peut d’une part freiner l’offre en alternatives végétales et, d’autre part, faire obstacle à un changement général de mentalité dans la société. 

En outre, les personnes qui commandent de la viande au restaurant n’obtiennent en principe aucune information sur les conditions d’élevage. D’où vient donc l’idée que la viande est meilleure au restaurant qu’au supermarché d’à côté ? Il est clair qu’il n’existe pas d’exigences de qualité particulières pour la viande dans la restauration ou le commerce de détail. Il n’y a pas de différence entre un produit acheté en magasin sur la base de son emballage ou un produit commandé au restaurant en fonction du menu. Finalement, la seule distinction réside dans la préparation : une cuisinière ou un cuisinier qualifié dispose d’un savoir-faire éprouvé qui peut améliorer la consistance et le goût des ingrédients. C’est sans doute la seule raison qui explique que la viande soit meilleure au restaurant.

Conclusion

En fin de compte, les labels bio apposés sur la viande, la charcuterie et les autres produits carnés ne sont pas là pour servir les intérêts des animaux. L’objectif n’est pas d’informer en détail sur les conditions d’élevage, mais plutôt d’apaiser la conscience des consommatrices et des consommateurs. Alors que les avantages de l’agriculture biologique pour l’environnement sont nombreux (pas d’utilisation de produits phytosanitaires et d’engrais chimiques de synthèse, ni d’organismes génétiquement modifiés, etc.), ils restent négligeables en termes de bien-être animal. Dans ce domaine, les labels ne reflètent que le standard minimum : même les animaux issus de l’élevage bio n’ont pas été élevés dans le respect des besoins de leur espèce, ont massivement souffert de ces « meilleures » conditions de vie et ont été abattus avec violence. Dans tous les cas, si l’on s’en tient aux chiffres de vente de la viande bio, l’affirmation « Je mange peu de viande, et seulement du bio » ne correspond généralement pas à la réalité. La formulation correcte serait plutôt : « Je mange de la viande, et seulement un peu de bio. »

  1. Proviande. (2023). Le marché de la viande 2023. www.proviande.ch/sites/proviande/files/2020-05/Der%20Fleischmarkt%20im%20%C3%9Cberblick%20-%20Aktuelle%20Ausgabe.pdf
  2. Viande de volaille emballée. (s. d.). Coop. www.coop.ch/fr/nourriture/viandes-poissons/viandes-fraiches-emballees/viande-de-volaille-emballee/c/m_0094 
  3. Poulet, dinde & canard. (s. d.). Migros. www.migros.ch/fr/category/viandes-poissons/viandes-volaille/poulet-dinde-canard 
  4. Bio Suisse. (2024). Cahier des charges pour la production, la transformation et le commerce des produits Bourgeon. www.bio-suisse.ch/dam/jcr:d908f41b-afd0-41bd-a383-32e2e20d83f8/Bio_Suisse_Cahier_des_charges_2024_FR_Final.pdf 
  5. Wolf, K. (2020, 23 juillet). Warum du auch Bio-Fleisch nicht mit gutem Gewissen essen kannst. ZEIT ONLINE ze.tt. www.zeit.de/zett/2020-07/koennen-wir-bio-fleisch-mit-besserem-gewissen-essen
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