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14.04.2025 | Amandine

L’industrie avicole a prévu de mettre un terme à l’abattage des poussins d’ici la fin de l’année. Un changement qui soulève une question cruciale : la consommation d’œufs pourra-t-elle dès lors être considérée comme éthique ? Nous expliquons ici pourquoi cette nouvelle mesure ne change rien au problème fondamental de la production d’œufs. 

En Suisse, les œufs sont une denrée très demandée. En 2024, la population suisse a consommé un total de 811,61 millions d’œufs.1 Pour couvrir cette demande, il faut énormément de poules pondeuses : il y en a 3,8 millions à travers le pays (poules reproductrices comprises).2 La demande en œufs est élevée toute l’année, mais elle connaît également de fortes fluctuations saisonnières. D’après GalloSuisse, l’association des producteurs d’œufs suisses, une forte augmentation a généralement lieu avant Noël et avant Pâques. Cette année, le pic saisonnier a été particulièrement important, ce qui a conduit à une véritable pénurie d’œufs en Suisse, aux États-Unis et dans divers pays européens.3 Aux États-Unis, la situation a été encore aggravée par la grippe aviaire.

Pourquoi y a-t-il des poussins mâles surnuméraires ?

Dans le secteur de l’élevage industriel actuel, on utilise des « poules pondeuses » spécialisées pour la production d’œufs. Celles-ci sont sélectionnées pour pondre le plus d’œufs possible, soit environ 300 par an. Cependant, ces races ne produisent pratiquement pas de viande et ne sont donc pas adaptées à l’engraissement. La pratique courante consiste donc à tuer les poussins mâles dès l’éclosion. Les poulets élevés pour leur viande sont des « races d’engraissement » et sont exploités indépendamment de leur sexe. Il s’agit principalement de la race « Ross 308 », dont le poids se multiplie par cinquante en l'espace de 37 jours.1 Ces pratiques sont bien évidemment tout sauf respectueuses des animaux.

La filière avicole sous pression

Le thème de l’abattage des poussins ayant été de plus en plus médiatisé ces dernières années, la filière des avicole est sous pression pour faire changer les choses. En Allemagne, par exemple, une loi interdisant explicitement le meurtre des poussins est en vigueur depuis le 1er janvier 2022.1 En France également, cette pratique a été interdite à partir du 1er janvier 2023.2 En Suisse, le broyage des poussins vivants est interdit depuis 2020, ce qui ne signifie toutefois pas que les poussins mâles ne sont plus tués ; ils sont désormais simplement gazés (euthanasiés avec du CO2). Mais en août 2024, la filière avicole suisse a annoncé que les poussins mâles ne seraient plus tués d’ici la fin de l'année.3 Il s’agit là d’une solution volontairement mise en place par la filière. Les producteurs d’œufs disposent désormais de trois possibilités pour atteindre cet objectif :

  1. Déterminer le sexe du poussin dans l’œuf → seules les femelles seront incubées
  2. Incuber les poussins mâles et les élever comme des «coqs frères des lignées de ponte»
  3. Élever des «poules à deux fins», qui servent à produire à la fois de la viande et des œufs

Le sexage in ovo, une technique respectueuse des animaux ?

À partir de cette année, la détermination du sexe in ovo sera introduite en Suisse. Cette méthode consiste à scanner les œufs à couver à l’aide de l’imagerie par résonance magnétique (IRM). Les œufs femelles sont incubés jusqu’à éclosion, ce qui donne naissance à des poules pondeuses. Quant aux œufs mâles, leur incubation est interrompue et ils sont utilisés pour l’alimentation animale ou la production de biogaz. L’industrie estime que les embryons ne peuvent ressentir la douleur qu’à partir du 13e jour (sur un total de 21 jours d'incubation). Par conséquent, la loi autorise la transformation en biogaz des œufs contenant des poussins mâles non désirés jusqu'au 13e jour. La détection du sexe dans l’œuf est une technologie plutôt nouvelle qui, bien qu’elle soit désormais commercialisée, ne s’est pas encore fermement établie. Cela s’explique notamment par son coût élevé : selon GalloSuissse, cette technique entraîne des frais de 3 francs par poussin. En conséquence, les œufs devraient coûter environ 1,5 centime de plus par unité. La filière ne spécifie pas aux producteurs comment cette mesure se traduira concrètement dans la pratique.

Les « poules à deux fins », une solution ?

L’association interprofessionnelle Bio Suisse a décidé qu’à partir de 2026, l'abattage des poussins devrait être aboli et que tous les poussins mâles devraient être incubés et élevés.1 L’association refuse d’appliquer la méthode du sexage in ovo, ce qui signifie que les exploitations bio devront soit utiliser des « poules à deux fins », soit élever les poules pondeuses mâles comme des « coqs frères ». La poule dite « à deux fins » est issue d’une nouvelle sélection génétique qui combine l’engraissement et la ponte. Son rendement est inférieur dans les deux domaines par rapport aux races spécialisées, mais suffisant pour être rentable pour les agriculteurs. L'autre possibilité consiste à élever les poules pondeuses mâles comme des « coqs frères », qui sont généralement engraissés pendant environ 67 jours. Cependant, ces deux approches ne font que repousser l’âge auquel les poussins seront exécutés ; une fois élevés, ils finiront tout de même par être tués et leur chair sera transformée en saucisses ou en nuggets. Il y a lieu de se demander si, pour ces animaux, le fait d’être engraissé avant d’être tué constitue réellement une amélioration. En particulier dans l’élevage conventionnel, où les jeunes coqs vivent dans un espace très restreint, on peut imaginer que ces solutions ne font que prolonger leur souffrance plutôt que de la diminuer. 

Dans l’élevage, les poules n’atteignent qu’une fraction de leur espérance de vie naturelle.
Dans l’élevage, les poules n’atteignent qu’une fraction de leur espérance de vie naturelle.

Que dit la loi sur la protection des animaux ?

La loi suisse sur la protection des animaux stipule que les animaux doivent être tués sans peur et sans douleur. L'Office fédéral de la sécurité alimentaire et des affaires vétérinaires admet lui-même ouvertement que la mise à mort au moyen de dioxyde de carbone (gazage) ne répond pas à cette exigence : dans un rapport datant de 2021, il indique que « le CO2 irrite les voies respiratoires lorsqu’il est inhalé à des concentrations élevées et déclenche très rapidement des douleurs, de la détresse respiratoire et de l’anxiété chez les animaux concernés ». Les animaux ne perdent conscience qu'après plusieurs secondes, voire plusieurs minutes, selon l'espèce. Bien que l'OFAG soit au courant de ces problèmes, cette méthode de mise à mort est toujours autorisée.

Conclusion : la production d’œufs demeure problématique

Dans les pseudo-solutions présentées par la filière, les poules vont continuer à mourir pour la production d’œufs – qu’il s'agisse de coqs frères ou de poules à deux fins. Au bout d’une année et demie, les poules pondeuses aussi sont exécutées dès que leur performance de ponte commence à baisser. Il apparaît donc clairement que même ces nouvelles mesures ne permettront pas de consommer des œufs en toute bonne conscience. On peut en outre se demander si la filière avicole suisse parviendra vraiment à mettre en œuvre ce projet d’ici la fin de l’année. Ce ne serait pas la première fois qu’elle échouerait, puisque la branche avait déjà annoncé en 2022, avec beaucoup d’enthousiasme, que la mise à mort des poussins serait bientôt abandonnée. Quoi qu’il en soit, une chose est claire : les alternatives végétales aux œufs sont et resteront la solution la plus respectueuse des animaux.

 

  1. Œufs. (2024, 25 septembre). Office fédéral de l’agriculture OFAG – Portail de données pour les marchés agricoles et alimentaires. https://www.donnees-agrimarche.ch/marche/oeufs
  2. Rapport agricole 2024 – Production de viande et d’œufs. (s. d.). https://www.agrarbericht.ch/fr/production/production-animale/production-de-viande-et-dufs
  3. Ei, Ei, Ei! - Droht der Schweiz bis Ostern eine Eierknappheit? (s. d.). Schweizer Radio und Fernsehen (SRF). https://www.srf.ch/news/dialog/ei-ei-ei-droht-der-schweiz-bis-ostern-eine-eierknappheit
  4. Proviande. (2024, 5 septembre). Les faits : viande de poulet suisse. Viande Suisse. https://viandesuisse.ch/pourquoi-de-la-viande-suisse/les-faits-viande-de-poulet-suisse
  5. Töten männlicher Küken verboten: BZL. (s. d.). https://www.landwirtschaft.de/tier-und-pflanze/tier/gefluegel/toeten-maennlicher-kueken-verboten
  6. Fin de l’élimination des poussins mâles en filière poules pondeuses au 1er janvier 2023. (s. d.). Ministère de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire. https://agriculture.gouv.fr/fin-de-lelimination-des-poussins-males-en-filiere-poules-pondeuses-au-1er-janvier-2023
  7. Würgler, D., Zumkehr, D., Eierbranche, GalloSuisse, Orbem & Vencomatic Group. (2024). Schweizer Branchenlösung zum Ausstieg aus dem Kükentöten.
  8. Bio Suisse. (2022, 7 novembre). Tous les poussins doivent avoir le droit de vivre: Bio Suisse dit non à l’abattage des poussins. https://www.bio-suisse.ch/fr/vivre-bio-suisse/blog/posts/2021/11/non-a-labattage-des-poussins.html
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