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30.10.2024 | Amandine

Pendant des mois, Swissmilk a fait de la publicité payante sur les réseaux sociaux et dans les médias en s'appuyant sur une étude d’Agroscope. Le titre choisi, « Lait ou boissons végétales : que choisir ? », révèle bien que ces publications ne sont ni plus ni moins que de la propagande en faveur du lait de vache.

Contexte

Pour déterminer ce qui est bon ou non, il faut d’abord établir des critères d'évaluation. Dans le cas présent, l’étude s'est exclusivement concentrée sur les valeurs nutritionnelles du lait. Ni les effets sur l’environnement, ni le bien-être des animaux n’ont été pris en compte, raison pour laquelle cet article se focalisera lui aussi sur l’aspect santé. La piètre performance du lait de vache en matière de respect de l’environnement et de protection des animaux ont été tout bonnement exclus de l’étude.

D’ailleurs, l’étude a été menée parce que le lait voit ses parts de marché diminuer au profit des boissons végétales : en effet, la consommation de lait de vache a pratiquement diminué de moitié au cours des 20 dernières années. Selon Swissmilk, en 1950, on buvait 233 litres de lait de vache par an et par personne. En 2020, ce chiffre n’était plus que de 51 litres. En outre, le prix d’une boisson au soja bio est aujourd’hui inférieur ou égal à celui du lait de vache bio.1 Il semblerait donc que Swissmilk tente de lutter contre le déclin du lait de vache en renforçant son travail de lobbying pro-lait. Par ailleurs, le gouvernement suisse est lui aussi impliqué dans cette propagande : il voudrait que la population consomme environ 1,5 x plus de lait de vache et de produits laitiers que ce qui est actuellement le cas, soit trois au lieu de deux portions par jour.2

Ill. 1 : Consommation de lait de vache par personne en Suisse (tableau réalisé par nos soins).

Étude

L’étude en question a été menée par l’institut de recherche public Agroscope.3 Les types de lait suivants ont été analysés : lait de vache et boissons végétales à base de riz, d’avoine, d’épeautre, de soja, de noix de cajou, de chanvre, d’amande et de noix de coco. La moyenne des valeurs mesurées a été calculée à partir d’un total de 36 produits par catégorie. Les boissons végétales contenant plus d’une matière première de base ont été exclues, de sorte qu’il ne restait plus que 27 produits. Cette sélection est problématique dans la mesure où la combinaison de plusieurs matières premières végétales permet aux nutriments et aux acides aminés de se compléter mutuellement.

Le résumé de l'étude présente la conclusion suivante : « Nos résultats montrent que les boissons végétales étudiées ne constituent pas une véritable alternative au lait en termes de composition nutritionnelle, même en tenant compte de l’enrichissement actuel. [...] Remplacer complètement le lait par des boissons végétales sans adapter son alimentation générale peut, à long terme, entraîner des carences en certains nutriments essentiels. » Pourtant, dans le même temps, le même résumé admet ce qui suit : « Les boissons à base de soja fournissent un peu plus de protéines et nettement plus de vitamines B1 et B6, d’acide folique ainsi que de vitamines E et D2 (avec supplémentation en vitamine D2) et K1, de magnésium, de manganèse, de fer et de cuivre que le lait de vache et les autres boissons végétales. »

La conclusion correcte de cette étude aurait donc dû être la suivante : ce sont les boissons au soja qui ont la meilleure composition. C’est d’ailleurs ce qui ressort clairement des valeurs publiées dans l’étude. Il n’est donc pas scientifiquement défendable de recommander le lait de vache plutôt que les boissons au soja, même en appliquant les critères de cette étude. Il convient également de souligner que les critères d’évaluation de l’étude sont eux-mêmes problématiques : pourquoi une boisson riche en sucres et en graisses serait-elle meilleure qu’une boisson contenant moins de ces macronutriments ?

En Suisse, on consomme deux fois plus de sucre que la quantité recommandée.4 Pour ce qui est des graisses, le bilan est également préoccupant : la population suisse consomme trop de graisses saturées malsaines (présentes par exemple dans le lait de vache) et pas assez de graisses saines, comme celles que l’on trouve dans les laits végétaux.    
L’étude ne formule aucune critique concernant la teneur élevée en matières grasses et en graisses saturées du lait de vache. Il semble donc que les chercheurs aient délibérément choisi de ne prendre en compte que les éléments qui, selon eux, jouent en faveur du lait de vache. Tous les éléments susceptibles de donner une image moins favorable de ce dernier ont été ignorés ou réinterprétés (« à haute densité nutritionnelle » au lieu de « riche en sucres et en graisses »). Le fait que les analyses portent uniquement sur la vitamine A, et non sur le bêta-carotène (provitamine A), laisse également penser que les valeurs analytiques ont été sélectionnées dans le seul but de favoriser le lait de vache. Le bêta-carotène se trouve principalement dans les produits végétaux et est transformé en vitamine A dans l’organisme. La vitamine A est essentiellement présente dans les produits d’origine animale. Par conséquent, ce critère d’analyse favorise forcément le lait de vache. Cette approche unilatérale est également admise dans l’étude : « La teneur en provitamine A, que l’on peut s’attendre à trouver dans les boissons végétales, n’a pas été analysée ». Il en va de même pour les fibres saines : présentes dans les produits végétaux, elles sont quasiment inexistantes dans le lait de vache, et n’ont par conséquent pas été prises en compte dans l’étude.

Il faut lire l'étude dans son intégralité pour découvrir que les boissons au soja sont celles qui contiennent le plus d’acides aminés essentiels : « En ce qui concerne la teneur totale en protéines, les boissons au soja sont celles qui se rapprochent le plus du lait de vache en termes de concentration d’acides aminés libres, avec une moyenne plus élevée pour les acides aminés essentiels ». Cette formulation est d’ailleurs relativisée : on dit qu’elles se « rapprochent » du lait, alors qu’en réalité, elles le dépassent.

Comptes rendus et littérature secondaire

Alors que les faits restent compréhensibles dans l’étude originale, on ne peut pas en dire autant des articles qui lui sont consacrés. Deux auteures de l'étude d’Agroscope ont écrit un article sur l’étude originale pour la Confédération et Agroscope dans la revue Recherche Agronomique Suisse.5 Les intertitres de l'article à eux seuls illustrent déjà clairement leurs objectifs (voir page suivante) :

  • « Les boissons végétales fournissent moins d’énergie et de nutriments que le lait »
  • « Les boissons végétales sont souvent enrichies en vitamines et en minéraux »
  • « Quel est l’impact de la consommation de boissons végétales sur le statut nutritionnel ? »

Dans le graphique de l'article (page 14), les couleurs ont été choisies de manière à ce que le lait de vache soit représenté de la manière la plus positive possible. Par exemple, la teneur en matières grasses a été représentée en vert. Les couleurs rouge, orange et jaune, souvent associées à une mauvaise note, n’ont été utilisées que pour illustrer les alternatives végétales. Le fait qu’une forte teneur en sucre et en matières grasses ne soit pas forcément positive est ici dissimulé, et la teneur supérieure en protéines du lait de soja est pratiquement noyée dans le graphique. Dans la conclusion de l’article, on peut lire l’énoncé suivant à propos des valeurs nutritionnelles positives du lait de soja : « Seules les boissons végétales à base de soja présentent une teneur en protéines comparable à celle du lait. » Plutôt que de parler de teneur en protéines supérieure (3,8 % pour le soja contre 3,3 % pour le lait de vache), les auteurs ont évoqué une « teneur en protéines comparable ». Manifestement, ils ne voulaient en aucun cas placer une boisson végétale au-dessus du lait de vache, ne serait-ce que sur un seul point.

Ill. 2 : Teneur moyenne en macronutriments en grammes par 100 g (source : Recherche Agronomique Suisse).

L’étude a également été relayée par la SRF.6 Le titre de l’article en question : « Les boissons végétales ne sont pas des alternatives au lait ». Dès l’introduction, le lectorat est induit en erreur : « Selon une étude d'Agroscope, le lait de vache reste le meilleur en ce qui concerne la teneur en protéines, en vitamines et en calcium, à moins que les alternatives laitières végétales ne soient enrichies en vitamines et en nutriments. Seul le lait de soja a obtenu de relativement bons résultats. » Dans la suite du texte, cette relativisation des avantages du lait de soja est corrigée :

« Le lait de soja est le mieux noté en termes de teneur en protéines. S’il est également enrichi en calcium, il peut constituer un équivalent au lait de vache ».

Ill. 3 : Valeurs nutritionnelles du lait de vache et des boissons au soja (tableau créé par nos soins).

Le SonntagsZeitung a lui aussi rendu compte de l’étude Agroscope avec un article intitulé : « Les boissons végétales ont moins de valeur nutritive que le lait de vache ».7

Swissmilk s’est servie de l’étude pendant plusieurs mois dans le cadre d’une campagne en faveur du lait de vache, citant notamment l’auteure de l’étude d’Agroscope, Barbara Walther : « D’un point de vue nutritionnel, les boissons végétales ne sont pas des alternatives au lait de vache. »8

Conclusion

Il n’est pas recommandé de couvrir ses besoins en graisses par des graisses saturées provenant du lait de vache. Il faudrait au contraire privilégier des produits à base de plantes, bien plus faibles en calories. D’ailleurs, le mot « calorie » n’apparaît pas dans le texte publicitaire de Swissmilk. Dans l’article de Recherche Agricole Suisse, ce mot n’est utilisé qu’une seule fois en lien avec la dénutrition ou la malnutrition. Le problème de l’excès de graisses et de sucres (qui peut conduire à l’obésité) n’est évoqué nulle part. En toute logique, le lait de vache obtiendrait les pires résultats en la matière.

  1. Swissveg. (2023, 1er novembre). Journée mondiale du véganisme. www.swissveg.ch/JourneeDuVeganisme_2023 
  2. Office fédéral de la sécurité alimentaire et des affaires vétérinaires (OSAV). (2017, mars). « Fiche thématique sur la nutrition : Consommation de lait et de produits laitiers en Suisse en 2014 et 2015 ». www.blv.admin.ch/dam/blv/fr/dokumente/lebensmittel-und-ernaehrung/ernaehrung/fi-menuch-milch.pdf.download.pdf/Fiche%20th%C3%A9matique%20-%20Consommation%20de%20lait%20et%20de%20produits%20laitiers.pdf 
  3. Walther, B., Guggisberg, D., Badertscher, R., Egger, L., Portmann, R., Dubois, S., Haldimann, M., Kopf-Bolanz, K., Rhyn, P., Zoller, O., Veraguth, R. & Rezzi, S. (2022). Comparison of nutritional composition between plant-based drinks and cow’s milk. Frontiers in Nutrition, 9. https://doi.org/10.3389/fnut.2022.988707
  4. Office fédéral de la sécurité alimentaire et des affaires vétérinaires (OSAV). Réduction des sucres. www.blv.admin.ch/blv/fr/home/lebensmittel-und-ernaehrung/ernaehrung/produktzusammensetzung/zuckerreduktion.html
  5. Burton-Pimentel K. J., Walther B. (2023). Boissons à base de plantes : une alternative au lait ? Recherche Agronomique Suisse 14, 214-228. www.agrarforschungschweiz.ch/fr/2023/09/boissons-a-base-de-plantes-une-alternative-au-lait
  6. Zehnder, R. (2023, 7 novembre). Pflanzendrinks sind kein Milchersatz. Schweizer Radio und Fernsehen (SRF). https://www.srf.ch/wissen/gesundheit/soja-hafer-und-co-pflanzendrinks-sind-kein-milchersatz
  7. Fossgreen, A. (2023, 27 mai). Pflanzendrinks sind weniger wertvoll als Kuhmilch. SonntagsZeitung. https://www.tagesanzeiger.ch/pflanzendrinks-sind-weniger-wertvollals-kuhmilch-344335258504
  8. Swissmilk. (s. d.) Lait ou boissons végétales: que choisir ? www.swissmilk.ch/fr/alimentation/regime-alimentaire-a-base-de-plantes/lait-ou-boissons-vegetales-que-choisir
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