Depuis 2020, les porcheries suisses sont encore plus surchargées, car le nombre de porcs élevés dépasse largement la demande des consommateur-ice-s suisses. Mais au lieu de réduire la production, les porcs sont expédiés à l'étranger et leur viande est stockée en urgence – aux frais de la Confédération.
Depuis des années, on mange de moins en moins de viande de porc en Suisse. Au début de la pandémie de coronavirus, lorsque la demande de viande de porc suisse a légèrement augmenté en raison de l'interruption du tourisme d'achat en zone frontalière, les éleveurs de porcs suisses ont décuplé leur production. Ce qui a conduit à une surproduction : en effet, bien que la demande de viande de porc ait vite décru, l'offre n'a pas été adaptée en conséquence, et les porcs sont devenus de plus en plus nombreux.
Infractions à la loi sur la protection des animaux
Il y a actuellement beaucoup trop de porcs en Suisse – selon Proviande, il y en a environ 50 000 de plus que la quantité achetée1 – et les conséquences pour les animaux sont graves. En raison de l'offre excédentaire, les porcs doivent rester plus longtemps dans les fermes avant d'être abattus. Par conséquent, ils deviennent plus grands et plus lourds que prévu, ce qui accentue encore le manque d'espace dans les étables. Dans des conditions normales, dix porcs peuvent être élevés sur une surface « de la taille d'une place de stationnement pour voiture ». À partir d'un poids de 110 kg, les animaux ont droit à presque deux fois plus d'espace, conformément à la loi sur la protection des animaux. Mais cet espace n'existe pas. Conséquences pour les porcs : une liberté de mouvement quasi nulle, un stress accru et une hygiène toujours plus mauvaise.
Même les services vétérinaires ont tiré la sonnette d'alarme en raison du risque de non-respect de la loi sur la protection des animaux. Selon l'Office vétérinaire de Lucerne, des demandes de dérogation aux prescriptions ont été formulées à plusieurs reprises. Dans les faits, seules quelques procédures ont été réalisées dans toute la Suisse2. Cesare Sciarra, de la Protection suisse des animaux, est pourtant catégorique : il y a trop de porcs dans les exploitations pour que les prescriptions puissent être respectées. C'est ce que confirment, selon saldo, des photos de l'organisation de protection des animaux Tier im Fokus, qui montrent des porcs que le président Tobias Sennhauser décrit comme « entassés dans un espace exigu »3.
Des mesures d'urgence coûteuses – financées par la Confédération
Pour faire face à la « crise sur le marché des porcs », différentes mesures ont été introduites, selon Proviande et Suisseporcs, « dans le cadre d’une solution sans précédent élaborée par l'ensemble de la filière »4. Ainsi, en décembre, près de 15 000 animaux ont été abattus en urgence et congelés. Cette action a été financée par la Confédération à hauteur de 1,9 million de francs. Le stockage de la viande de porc excédentaire due à la surproduction coûtera encore au moins 3 millions de francs de plus aux contribuables. En effet, ce montant revient à Proviande en vertu de l'ordonnance sur le bétail de boucherie3.
Afin de désamorcer la situation dans les exploitations d'engraissement, 15 000 animaux supplémentaires ont déjà été exportés vers d'autres pays européens, notamment vers l'Allemagne, et ce à des prix très bas. Pour les semaines à venir, Proviande s'attend en outre à une exportation hebdomadaire d'environ 5000 animaux. En été 2022, 20 Minuten rapportait déjà que 500 porcelets devaient être exportés vers l'Allemagne. Comme cela n'a pas été possible en raison des dispositions relatives à la chaleur, ils ont tout simplement été abattus et transformés en aliments pour animaux domestiques5.
Globalement, les exploitations porcines devraient avoir largement assez de raisons de réduire le nombre d'animaux détenus. Mais selon saldo, des primes supplémentaires allant jusqu'à 20 000 francs par an et par exploitation ont été versées aux producteur-ice-s l'année dernière en raison de la baisse des prix à la production. Bien qu'elles aient elles-même causé cette surproduction, les exploitations n'ont donc guère besoin d'assumer la responsabilité de la situation et n'ont que peu de raisons de changer leur mode de production.
Maltraitance animale sans aucune responsabilité – comment est-ce possible ?
Les conditions dans les élevages porcins suisses sont effrayantes. Comment se fait-il que, malgré le manque croissant d'espace et les avertissements répétés, le nombre de porcs détenus ne soit pas réduit ? Comment les prescriptions en matière d'espace dans les exploitations, qui sont de toute façon insuffisantes, peuvent-elles être purement et simplement ignorées au détriment du bien-être des animaux, et comment cela peut-il échapper aux services vétérinaires ? Et comment est-il possible que les conséquences financières de cette erreur monumentale soient en grande partie supportées par la Confédération – et donc par les contribuables – au lieu d'être assumées par les responsables eux-mêmes ? Ces événements montrent une fois de plus que la loi suisse sur la protection des animaux, et en particulier son application, sont absolument insuffisantes – et que le subventionnement de notre consommation de viande par les contribuables doit cesser une fois pour toutes, afin que les coûts réels de la production de viande soient supportés par les consommateur-ice-s et les producteur-ice-s, et non par les animaux et la collectivité.
Solutions possibles : les Pays-Bas montrent l'exemple
Dans les pays européens voisins, l'offre excédentaire de viande de porc est aussi un sujet de préoccupation. L'élevage de porcs étant devenu de moins en moins rentable, l'Allemagne envisage par exemple une prime de sortie pour les éleveurs et éleveuses de porcs prêt-e-s à abandonner leur exploitation. Une autre solution consiste à instaurer une prime à la conversion afin de subventionner l'amélioration des conditions d'élevage6. Les Pays-Bas font figure d'exemple en montrant comment l'argent des contribuables peut être utilisé pour soutenir l'abandon de l'élevage plutôt que sa poursuite. Pour l'année 2022, le gouvernement néerlandais a débloqué 228 millions d'euros afin d'inciter les éleveurs et éleveuses de porcs dont l'exploitation se situe à proximité de certaines réserves naturelles à abandonner l'élevage. Cette mesure a été déclenchée dans le but premier de réduire les émissions d'azote. L'objectif à long terme est de réduire d'un tiers le cheptel du pays. À cet effet, le gouvernement néerlandais a élaboré un plan de 25 milliards d'euros visant à soutenir financièrement, entre autres, les éleveurs et éleveuses qui souhaitent quitter le secteur ou se convertir à l'agriculture extensive7.
Plus d'informations
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1 Proviande, Prix hebdomadaires et données du marché des bétail de boucherie
2 Christen, M., NZZ Magazin. Schweizer Schweine leider unter Platznot (en allemand). 14 janvier 2023.
3 Mennig, D. & Cetojevic D. Saldo. Industrie verramscht Schweinefleisch ins Ausland – auf Kosten der Steuerzahler (en allemand). 21 janvier 2023.
4 Proviande, Situation actuelle du marché des porcs. 31 janvier 2023.
5 Rosner, Y. 20 Minuten. Zu viele Schweine in der Schweiz – jetzt werden sie zu Tierfutter verarbeitet (en allemand). 18 septembre 2022.
6 Agrimand, Ausstiegsprämie für Schweinebauern: Sinnvoll oder nicht? (en allemand). 28 octobre 2022.
7 Deter, A. Top Agrar Online. Agrarwende: Niederlande wollen Tierbestände um ein Drittel abbauen (en allemand). 11 janvier 2022.