Le philantrope et défenseur des droits des animaux autstralien, Philip Wollen, également ancien vice-président de Citibank, s'engage pour le bien-être des animaux depuis des décennies avec une ferveur intarissable. Swissveg a eu la chance de pouvoir lui poser quelques questions.
Qu'est-ce qui vous donne foi en l'avenir ?
En premier lieu, il importe de comprendre pourquoi il est parfaitement logique que des personnes sensées perdent espoir. L'histoire de l'humanité a vu naître et mourir 100 milliards d'individus. Les sept milliards et demi d'humains qui peuplent actuellement la Terre torturent et tuent deux milliards d'animaux terrestres chaque semaine et découpent et asphyxient un milliard d'animaux marins toutes les huit heures. Si les humains s'entretuaient dans les mêmes proportions, notre espèce disparaîtrait en un seul week-end.
D'ici 2048, les réserves de poissons seront épuisées. Nous assistons à la mort des océans, qui sont les poumons et les artères de la planète. Les océans absorbent en effet davantage de CO2 que toutes les forêts du monde réunies.
Des quantités astronomiques de poisson sont transformées en nourriture pour animaux. Les vaches, en principe végétariennes, sont désormais les principaux prédateurs des habitants des océans. Chaque année, 10 000 espèces sont rayées de la surface de la Terre à cause des actions d'une seule espèce. Nous assistons à la sixième extinction de masse depuis la création de l'univers.
Si c'était l'œuvre d'un autre organisme, celui-ci serait qualifié de virus par les biologistes. Il s'agit d'un crime contre l'humanité d'une ampleur jamais atteinte.
Face à tout cela, il est légitime de se demander si les humains ont de quoi garder ne serait-ce qu'une once d'espoir.
Pour ma part, je crois que l'anthropocentrisme, philosophie qui place l'être humain au centre du monde, est la pire des aberrations.
Carl Sagan a reporté l'histoire de l'univers à une année. Dans son modèle, le big bang est survenu le premier de l'an. Les 365 jours suivants s'écoulent. Le soir du réveillon, le soleil, la lune et les étoiles apparaissent alors que les douze coups de minuit commencent à retentir. Arrivent ensuite les animaux.
Une seconde avant minuit, un ridicule mammifère sur deux pattes, muni d'un pouce opposable, fait une entrée fracassante, en proclamant avec arrogance que tout ce qui s'était passé jusqu'alors relevait d'un plan divin mis en place pour préparer son avènement. Une telle logique est un affront pour notre intellect. Il nous faut de nouveaux Galilée et Copernic pour nous rappeler que nous ne sommes pas le centre de l'univers.
Heureusement, certaines personnes ont compris quelle place nous occupons sur la planète et quelles responsabilités en découlent.
Aujourd'hui, des personnes influentes investissent massivement dans des alternatives à la viande. Le secteur est tellement prometteur que même l'industrie de la viande achète des parts dans cette nouvelle branche. De nombreuses chaînes de restaurants passent au véganisme ou, du moins, augmentent le nombre de plats véganes au menu. En parallèle, les médecins, les climatologues, les éthiciens et les économistes finissent par aboutir à la même conclusion sans se concerter : consommer des animaux est destructeur, malsain, cruel et non rentable du point de vue macroéconomique.
« Il n'est rien au monde d'aussi puissant qu'une idée dont l'heure est venue », c'est ce qu'affirmait Victor Hugo. Et j'ajouterais qu'il n'y a rien d'aussi destructeur qu'une mauvaise idée ayant fait son temps. Or, la viande a fait son temps.
Malgré les circonstances et la morosité ambiante, je reste donc prudemment optimiste. Je m'en remets aux paroles de Camus dans son essai « Retour à Tipasa » : « Au milieu de l'hiver, j'ai découvert en moi un invicible été. »
Comment de petites organisations à but non lucratif peuvent-elles rivaliser avec les puissants lobbies des industries laitières et de la viande ?
Tout d'abord, elles doivent cesser de penser et d'agir comme des organisations à but non lucratif insignifiantes. Car notre nombre, notre énergie, notre éthique, notre intelligence et nos connaissances n'ont rien d'insignifiant. Ce qui nous fait défaut, c'est la coopération et la force de mobilisation.
Au fil du temps, le mouvement a éclaté en une myriade de petites unités comptant un nombre disproportionné de « guerriers du clavier » qui se querellent entre eux et se perdent dans des débats futiles menant à la paralysie d'analyse.
Les groupes de lobbyistes exploitent les réseaux sociaux pour monter les activistes les uns contre les autres avec des arguments fallacieux pour ensuite les observer à bonne distance en se frottant les mains.
Si nous voulons gagner cette bataille en faveur du véganisme, nous devons miser sur une planification stratégique implacable et une exécution systématique.
Dans la lutte asymétrique qui se joue en faveur de la protection des animaux, ce n'est pas en nous chamaillant pour savoir qui sont les véganes les plus « purs » que nous parviendrons à nos fins. Il est bien plus important de construire un espace susceptible d'accueillir tous les individus, qu'ils soient véganes de longue date, fraîchement convertis ou sur le point de faire le pas.
Selon l'anthropologue Margaret Mead, il ne fait aucun doute qu'un petit nombre de personnes engagées peut changer le monde. Ce serait même le seul moyen d'opérer un changement.
Il n'y a que 13 millions de juifs dans le monde. Cela ne les empêche pas de jouer un rôle important dans les affaires internationales. Le nombre de prix Nobel qu'ils remportent chaque année en dit long.
Durant les jeux olympiques de Sydney, Trix et moi avons été particulièrement fiers de voir que l'Australie, qui compte moins d'habitants que la Floride, pouvait remporter plus de médailles que n'importe quelle autre nation du monde, à l'exception de la Russie et des États-Unis.
Le Tibet ne compte que trois millions d'habitants. Néanmoins, la situation dramatique dans laquelle ceux-ci se trouvent est connue de tous.
Or, il y a plus de 600 millions de personnes végétariennes ou véganes sur cette planète.
C'est plus que tous les habitants des États-Unis, d'Angleterre, de France, d'Allemagne, d'Espagne, d'Italie, du Canada, d'Australie, de Nouvelle-Zélande et d'Israël réunis !
S'ils formaient une nation, celle-ci serait plus grande que les 27 pays de l'Union européenne.
Elle serait plus grande que l'OTAN et plus grande que l'OPEP.
Malgré leur grand nombre, les personnes végétariennes et véganes continuent d'être rabaissées par les bruyants cartels de chasseurs, de tueurs et de porteurs d'armes qui pensent que la violence est la réponse à tout, alors qu'elle ne devrait même pas être une option.
La bataille intellectuelle pour le véganisme a déjà été gagnée – par les véganes. Les arguments plaidant en faveur du véganisme sont imparables : cruauté envers les animaux, émissions de gaz à effet de serre, épuisement des ressources, pollution des océans, déforestation, santé humaine, zoonoses, emballement des coûts de la santé, changement climatique, acidification des océans... La liste est longue.
Quiconque ne comprend pas ces faits est incroyablement cruel, profondément ignorant ou complètement borné.
L'arrogance et les brimades des gouvernements et de leurs bailleurs de fonds dans le lobby de la viande et des produits laitiers sont la preuve de leur lâcheté morale, non de leur force.
Êtes-vous toujours en contact avec votre ancien groupe de pairs du temps où vous étiez vice-président de Citibank ? Lancez-vous le débat sur le véganisme dans le milieu bancaire et auprès des acteurs clé de l'économie ?
Je parle constamment à un large éventail de personnes – des véganes engagés et d'autres que je décrirais comme des « véganes en devenir »…
Qu'entendez-vous par là ?
À un moment donné, la plupart d'entre nous ont consommé des animaux, moi y compris. Il fut un temps où mon plat préféré était le filet mignon et le homard, un fait dont j'ai profondément honte aujourd'hui. Mais j'ai été témoin d'horreurs que la plupart des gens ne voient que dans leurs cauchemars. Et cela m'a profondément touché. Je n'ai pas consciemment décidé de devenir végane. Au contraire, j'ai pour ainsi dire découvert que c'était ce que j'étais devenu.
Il y a 30 ans, lorsque je parlais de véganisme aux décideurs et aux personnes influentes, ils me classaient dans la catégorie des excentriques : ils souriaient poliment et ne disaient rien. C'était frustrant. Il y a 20 ans, certains d'entre eux ont conclu que je n'étais finalement pas un excentrique et on commencé à débattre sur le sujet avec moi.
Aujourd'hui, avec le faisceau de preuves réunies par la médecine, les climatologues, les éthiciens et les caméras placées dans les abattoirs, il est plus difficile de s'en tirer avec une pirouette rhétorique. Par conséquent, les conversations sont moins conflictuelles et donc plus constructives.
Après avoir entendu mon exposé des faits, les personnes influentes se divisent en trois catégories.
Une partie d'entre eux refusent de discuter rationnellement du sujet ; je les traite avec politesse en les laissant tranquilles. Un certain nombre, à l'esprit plus ouvert, en réclament davantage ; je leur fournis des informations brèves et précises et les laisse digérer le tout à leur rythme. Et puis, il y a ceux qui comprennent les enjeux et adoptent le nouveau paradigme avec ferveur. Je suis ravi de constater que ce dernier groupe gagne en importance rapidement. Un grand nombre d'entre eux ont retiré les produits d'origine animale de leur menu et des cantines de leurs sociétés et soutiennent même financièrement et personnellement le mouvement de défense des animaux.
Les politiciens devraient-ils s'investir davantage au sein du mouvement de défense des droits des animaux ?
Je ne pense pas que le monde politique devrait lutter pour les droits des animaux. Je pense que les droits des animaux devraient faire partie intégrante de la politique. Je suis également d'avis que les politiciens devraient rejoindre le mouvement de défense des droits des animaux parce que les lois qui menacent les animaux sont faites par des politiciens.
Dans le livre « Bûcher des vanités », l'auteur termine sur les paroles du juge White qui affirme que la loi est une façon pour l'humanité de tendre vers la décence.
Il nous faut une jurisprudence d'un nouveau genre, un « foro conscientiae », une cour de la conscience, où l'on peut débattre de LA question allant au-delà de la « règle du précédent », des grands principes du droit ou de la sacro-sainte détermination du préjudice, autrement dit la question la plus importante jamais posée par Martin Luther King : « Est-ce juste ? »
Remettons-nous en aux propos de Sénèque dans la Justice de Piso : « Que justice soit faite, même si le ciel doit s’écrouler ».
Sur quoi les défenseurs des droits des animaux devraient-ils concentrer leurs actions à votre avis ?
Le véganisme doit être considéré comme le pilier de l'activisme en faveur des droits des animaux. Sinon, tout ce que nous faisons, c'est réarranger les transats sur le pont du Titanic après la collision avec l'iceberg.
Le véganisme est la trousse à outils du futur, une sorte de couteau suisse qui résout à la fois les problèmes éthiques, économiques, environnementaux, d'approvisionnement en eau et de santé, tout en mettant définitivement un terme à la cruauté faite aux animaux.
Cela dit, l'activisme ne suffit pas. Il faut du « pro-activisme ». Nous devons faire preuve de suffisamment d'assurance et de force et acquérir les connaissances nécessaires pour identifier les problèmes avant qu'ils ne surviennent afin de mobiliser nos ressources pour les arrêter avant que le monde financier, les politiciens ou d'autres milieux intéressés ne s'en emparent.
Y a-t-il actuellement un sujet que vous considérez comme prioritaire ?
Le monde a cruellement besoin de deux choses : de gouvernance et de vérité.
L'éthique et la vérité me sont chères. L'une ne va pas sans l'autre.
Nous avons besoin d'une culture qui prenne soin et respecte la vie, les droits et les intérêts d'autrui.
Et je ne parle pas que des droits des animaux. Je fais aussi allusion aux abus que subissent les humains.
Nous connaissons tous la Règle d'or ordonnée par Jésus et qui figure dans le Nouveau Testament : « Ne fais pas aux autres ce que tu n'aimerais pas qu'on te fasse. » Ces propos remontent en fait à Hillel, un juif de Babylone, qui les aurait prononcés en 70 avant notre ère, voire plus loin, aux « Entretiens de Confucius » datés de 500 avant notre ère. En réalité, ce principe était déjà ancré dans le cœur des humains bien avant l'avènement de l'écriture.
Au final, il n'y a que trois choses qui importent : la sincérité avec laquelle on aime, la bienveillance dont on fait preuve dans sa vie et la dignité avec laquelle on renonce aux choses qui ne nous sont pas destinées.
La viande en fait partie.
Prévoyez-vous de prendre votre retraite bientôt ?
Il n'y a pas de retraite qui vaille sur le champ de bataille. On ne peut que se rendre. Et je ne me rendrai jamais. Le mot « retraite » ne fait donc pas partie de mon vocabulaire.
Avez-vous un modèle, une personne que vous considérez comme un exemple à suivre ? Une personne qui vous inspire ?
Je n'ai pas de « héros », mais il y a un certain nombre de personnes, des artistes, des athlètes, des poètes, des écrivains, des scientifiques, des musiciens ou des activistes, dont j'admire les qualités et les compétences. Je ne crois pas aux « héros ». Bien sûr, il y a des gens (et des animaux) qui accomplissent des exploits que l'on peut qualifier d'héroïques. Toutefois, les désigner comme des héros, ce serait leur imposer de lourdes obligations qu'ils n'ont pas cherché à obtenir et qu'ils risquent de ne pas pouvoir remplir dans toutes les circonstances.
Cela me rappelle la phrase que Brecht fait dire à Galilée dans sa pièce « La vie de Galilée » : « Malheureux les pays qui ont besoin de héros. »
Umberto Eco, quant à lui, considérait le monde moderne comme un lieu sans profondeur, où les célébrités se résumaient à une fine couche de vernis. En comparaison, les héros des temps anciens étaient admirés pour leur profondeur.
Le fait que les Grecs Anciens utilisaient le même mot pour désigner la beauté et l'honneur est révélateur. De même, le terme utilisé pour désigner la honte était identique à celui qui définissait la laideur. C'est le caractère qui comptait. Et pas qu'un peu.
Dans « Mort d'un commis voyageur », Willy Loman admire son grand frère Ben, qui se vante d'être allé dans la jungle à 17 ans et d'en être ressorti à 21 à la tête d'une immense fortune. Très impressionné, Willy incite ses deux fils à suivre les traces de leur oncle. À la fin de la pièce, Willy Loman se suicide, désappointé. Je me demande quelle fin aurait eu cette histoire si le frère héroïque et inspirant de Willy avait dit être ressorti de la forêt en ayant découvert sa propre personnalité.