La protection des animaux revendique l'amélioration des conditions de détention et lutte contre les pratiques particulièrement cruelles, le gavage des oies par exemple, sans toutefois remettre fondamentalement en question l'exploitation des animaux comme sources vivantes de matières premières.
Tout bien considérés, les bénéfices réels pour les animaux de la loi sur la protection des animaux de 1978 n'incitent pas à l'optimisme. Mise à part l'interdiction d'élever des poules en batterie, alors que l'importation d'œufs produits par des poules élevées en batterie reste autorisé, cette loi n'a eu que très peu d'incidences directes sur les animaux eux-mêmes. Sous certains aspects, ils ne sont certes plus considérés comme des choses en Suisse, mais ce changement bénéficie presqu'exclusivement aux éleveurs : à l'abattage d'un animal, ils peuvent non seulement réclamer la valeur réelle de celui-ci, mais aussi mettre en avant la valeur affective qu'il représente. Le statut des animaux a également changé dans la loi sur le divorce. Dans certains cas, la nouvelle réglementation profite certainement aux animaux, puisqu'un propriétaire peut, le cas échéant, être amené à devoir soigner un animal alors même que le remplacer serait moins onéreux. Avant l'entrée en vigueur de la loi, seule la valeur « à neuf » de l'animal était prise en compte dans les demandes de dédommagement. Désormais, une personne qui inflige un tort à un animal peut en effet être tenue de prendre en charge tous les frais qui découlent de son acte, même si la mise à mort et l'acquisition d'un animal de remplacement serait moins coûteuse.
Revendications de la protection des animaux
Étant donné que les modifications récentes de la législation n'accordent aucun droit direct à l'animal, quelles sont les revendications des mouvements de défense des droits des animaux que les mouvements de protection des animaux ne posent pas ? Autrement dit, qu'est-ce qui distingue fondamentalement un protecteur des animaux d'un défenseur des droits des animaux ?
En résumé, la protection des animaux est principalement axée sur les besoins des humains :
Ainsi, un animal n'est pas, par exemple, protégé en tant qu'individu, mais en tant que faisant partie d'une espèce devenue rare sur notre planète, comme le panda, avec laquelle l'humain a une relation affective, comme le chien ou le chat, ou encore jouant un rôle important pour des raisons écologiques. Le point de vue reste le même : l'animal est toujours considéré dans sa relation à l'être humain. Les animaux qui ne sont d'aucune utilité pour l'homme ont peu de chances de se voir accorder le droit à la vie par des mesures de protection. Plus grave, dès lors que les humains retirent un bénéfice des torts qu'ils infligent aux animaux (consommation de viande, essais sur les animaux, etc.) les mesures de protection des animaux sont écartées. La distinction apparaît principalement lorsqu'il s'agit de tuer des animaux. S'agissant de la cruauté faite aux animaux les mesures réclamées par les protecteurs des animaux et celles réclamées par les défenseurs des droits des animaux se rejoignent la plupart du temps.
Cet apect de la protection des animaux ressort clairement du texte de révision de la loi discuté au Parlement suisse. Le conseiller national, Ulrich Siegrist (UDC), est allé jusqu'à l'avancer comme argument dans le débat pour démontrer que la nouvelle loi ne présente aucun « risque » pour les éleveurs :
« Dans ce texte, la distinction entre animal de rente et animal domestique est désormais faite de manière récurrente dans chaque disposition. »
Revendications des défenseurs des droits des animaux
Les défenseurs des droits des animaux ne se demandent pas si un animal est utile ou non à l'humain. La disposition à ressentir la douleur, l'intelligence et le comportement social des chiens et des cochons, par exemple, sont comparables. Il n'existe donc aucune raison biologique de tolérer qu'un cochon soit tué après quelques mois d'une vie dans la souffrance et d'exiger au contraire qu'un chien soit préservé aussi bien de la douleur que de la mort.
Les défenseurs des droits des animaux adoptent donc le point de vue inverse : ils cherchent à accorder aux animaux les droits qu'ils méritent indépendamment du fait qu'ils soient aimés (animaux domestiques), admirés (animaux sauvages rares) ou exploités (animaux de rente et de consommation) par les humains. Songeons à la charte des droits de l'homme : lesquels de ses principes pourraient-ils s'appliquer aux aninmaux ? Pour l'obtention de quels droits fondamentaux, les animaux lutteraient-ils s'ils en avaient la possibilité ? Les premiers qui nous viennent à l'esprit est le droit à la vie et le droit à ne pas être soumis à la torture. Or, ces deux besoins fondamentaux de tout être vivant sont quotidiennement bafoués, et ce des millions de fois pour ce qui touche les animaux. La raison en est simple : ni la société ni les entreprises n'ont un quelconque intérêt à accorder librement quelque droit que ce soit à des créatures sans défenses et sans moyens financiers. Au contraire, ils seraient dans ce cas obligés de revoir un grand nombre d'habitudes bien établies et à remplacer des procédés longuement éprouvés (essais sur les animaux). La disparition des animaux comme ressources dépourvues de droits et exploitables à volonté engendrerait des coûts supplémentaires. De prime abord, les exigences formulées par les défenseurs des droits des animaux peuvent paraître exagérées et irréalistes dans la situation actuelle. Quels sont donc leurs arguments ?
L'élevage est-il une forme d'esclavage ?
Pour illustrer un point de vue complètement nouveau, il est souvent utile de se servir d'exemples connus, montrant comment des problématiques similaires ont été résolues par le passé. Au premier congrès consacré aux droits des animaux en 2002 à Vienne, Martin Balluch1, défenseur des droits des animaux de longue date, a comparé l'argumentaire des esclavagistes du XVIIIe siècle à celui des chantres de l'exploitation animale d'aujourd'hui. Ce faisant, il a trouvé de nombreuses similitudes. Presque tous les aguments d'alors peuvent être transposés à la réalité actuelle si l'on remplace « esclaves » par « animaux ». Le cadre légal, lui aussi, est comparable : les uns comme les autres sont dépourvus de droits en propre et sont considérés comme des biens appartenant à leurs propriétaires.
Voici la liste des parallèles entre l'esclavagisme de l'époque et l'exploitation/la cruauté animale actuelle. Même si cela peut surprendre, les mêmes points sont avancés dans le débat autour des droits des animaux. Il suffit de substituer
« exploitation animale » à « esclavage », « humains » à « Blancs » et « animaux » à « Noirs ».
Arguments de l'époque en faveur de l'exclavage :
- L'être humain est mauvais par nature, l'esclavage ne saurait l'éliminer
- L'esclavage n'est pas le pire des maux
- L'abolition de l'esclavage causerait la disparition des populations noires en Amérique qui ne pourraient alors plus survivre sans le soutien des Blancs
- D'une façon générale, le caractère moral ou non de l'esclavage ne fait pas l'objet du débat, puisque l'esclavage est considéré comme « un mal nécessaire » dont « on ne saurait se passer »
- La Bible admet l'esclavage: I) Jésus n'a jamais condamné l'esclavage; II) L'Ancien Testament rapporte une multitude d'histoires d'esclaves sans aucun jugement critique; III) Noé frappe Cham d'une malédiction selon laquelle il sera réduit en esclavage pour l'éternité – les Noirs sont les descendants de Cham; IV) L'esclavage est la voie choisie par Dieu pour évangéliser les Noirs
- Inférieurs et moins intelligents, les Noirs se situent entre l'humain et l'animal dans la chaîne de l'évolution, c'est ce que des mesures « scientifiques » du cerveau ont prouvé
- Les Noirs retirent un bénéfice de l'esclavage, puisqu'ils ont ainsi accès à la culture et à la civilisation
- Les esclaves sont mieux lotis que les Noirs libres, puisqu'ils ont un toit au-dessus de la tête, une meilleure hygiène, accès aux soins médicaux, moins de soucis et toujours de quoi se nourrir
- L'esclavage vaut mieux que le capitalisme, car les Noirs (autrement dit, les plus faibles) risqueraient la paupérisation et la famine dans un monde soumis à la libre concurrence
- Une structure hiérarchique et inégale est le fondement de toute bonne société stable et paisible
- La nature elle-même est inégale et organisée de manière verticale
- Les actes de cruauté envers les esclaves sont des faits d'exception. Les maîtres prennent grand soin de leurs esclaves puisque seuls les esclaves biens tenus fournissent du bon travail
- L'égalité ne peut être exigée par les Noirs vis-à-vis des Blancs, puisqu'ils sont différents par nature
- Retirer aux Blancs le droit de posséder des Noirs équivaudrait à limiter le droit à la liberté des Blancs, ce qui serait insupportable
- Les Noirs étant incapables de défendre leurs propres intérêts et de lutter pour leurs droits, ils ne les méritent pas
Pour éviter tout malentendu, précisons que les défenseurs des droits des animaux n'entendent aucunement remplacer ou relativiser sous quelque forme que ce soit les droits de l'homme durement acquis par des droits de l'animal. Au contraire, ils souhaitent s'appuyer sur les progrès de la civilisation et étendre ses acquis. Tout comme ils ne considèrent pas la couleur de la peau ou le sexe d'une personne comme un critère déterminant pour des choix moraux, les défenseurs des droits des animaux ne retiennent pas, dans certains domaines comme le droit à la vie par exemple, l'appartenance à une espèce donnée comme un critère moral pertinent.
Elargissement du cercle des êtres vivants pris en compte dans la législation
De ce point de vue, les droits des animaux peuvent être considérés comme une extension des acquis sociaux actuels :
Égalité des droits
… au sein d'un même groupe
… pour tous les individus appartenant à une même population
… pour tous les humains (à l'époque ce terme se limitait toutefois aux individus de sexe masculin)
… hommes ou femmes appartenant à l'espèce homo sapiens
Le «Projet Grands singes» («The Great Ape Project») se définit comme la prochaine étape d'extension des droits de l'homme2. Il a été lancé par un groupe de spécialistes du comportement, de philosophes, de biologistes, de psychologues, de pédagogues, de juristes et d'anthropologues, au total 36 personnes provenant de neuf pays.
L'abolition de l'esclavage aux États-Unis a pris environ deux siècles. Après les premières remises en question soulevées en 1780, il a fallu attendre 1980 pour que des Noirs soient enfin indemnisés et le Ku Klux Klan officiellement démantelé. Il faudra donc certainement faire preuve de beaucoup de patience avant que les animaux ne puissent ressentir les effets concrets du débat actuellement mené autour de la reconnaissance de leurs droits. Certes, de nombreuses questions liées à l'application restent encore ouvertes, mais beaucoup de chercheurs discutent sérieusement de cette problématique dans leurs universités. Les philosophes, en premier lieu, se heurtent souvent à des contradictions lorsqu'il s'agit de justifier pourquoi les droits accordés à l'ensemble des humains ne devraient pas être étendus aux animaux. La délimitation entre humain et animal, en particulier lorsqu'il est question de la cruauté dont ils sont victimes, est de plus en plus souvent vue comme arbitraire.
Critiques à l'encontre du mouvement de défense des droits des animaux
Pourquoi accorder des droits aux animaux, puisqu'ils ne sont pas pourvus de discernement ?
La question se pose aussi lorsque l'on parle des droits dont doivent bénéficier les personnes avec un handicap mental ou les petits enfants. Les droits de l'homme s'appliquent aussi à ces groupes de personnes, dont les intérêts sont défendus par des représentants légaux. Des avocats, par exemple, pourraient endosser ce rôle pour les animaux.
Les animaux sont si différents des humains qu'il est absurde de vouloir surmonter la séparation entre les espèces par le biais de droits fondamentaux. La condition unique des êtres humains est telle qu'ils méritent un traitement de faveur.
Ces dernières années, la recherche a régulièrement démontré qu'il n'y a aucune particularité dont seuls les humains peuvent se prévaloir et qui soit en outre commune à tous les humains. Certains animaux sont capables de résoudre des problèmes mathématiques complexes alors qu'on ne peut pas en dire autant de tous les humains. Les capacités intellectuelles d'un nouveau-né humain sont inférieures à celles des grands singes adultes et d'autres espèces animales. Un nouveau-né est considéré comme un être humain malgré le fait qu'il ne maîtrise pas le langage parlé.
Ne faudrait-il pas, en fin de compte, accorder le droit de vote et la liberté religieuse aux animaux dans ce cas?
Bien sûr que non. Il est question de droits fondamentaux qui concernent des aspects communs à tous les êtres vivants, notamment le droit à la vie et le droit à ne pas être soumis à la torture. Les animaux ne retirant aucun bénéfice à disposer de la liberté religieuse, celle-ci ne fait pas partie des revendications de la défense des droits des animaux. Cette question prouve une fois de plus que nous avons tendance à partir du point de vue de l'humain et non de l'animal. L'objectif n'est pas de reporter aveuglément tous les droits des humains sur les animaux.
Commençons déjà par faire en sorte que tous les humains bénéficient des même droits. Tant que tel n'est pas le cas, il n'y a pas lieu d'évoquer les droits des animaux.
Puisque les droits des animaux découlent des droits de l'homme, les droits de l'homme s'en trouveraient renforcés. S'il fallait systématiquement attendre que tous les obstacles soient levés en amont pour entamer des démarches en faveur de changements moraux, il n'y aurait jamais de progrès : malgré le fait que des enfants soient réduits en esclavage aujourd'hui encore, il est légitime de revendiquer l'égalité entre les hommes et les femmes.
- L'argumentaire complet de Martin Balluch sur le thème des droits des animaux et des droits de l'homme est accessible sur le site www.tierrechtskongress.at.
- Étendre les droits de l'homme aux grands singes – The Great Ape Project
- Im Harald Fischer Verlag ist eine bereits 8 Bände umfassende Bücherreihe erschienen, welche sich mit dem Thema «Tierrechte – Menschenpflichten» befasst.
Siehe auch: www.haraldfischerverlag.de - L'ouvrage de référence du mouvement de défense des droits animaux «La libération animale» du philosophe australien Peter Singer est disponible en librairie.
- Article de Helmut Kaplan (en allemand): Was sind Tierrechte?